Stéphane Just répond à Barta dans Le Monde
Stéphane Just répond à Barta dans l'édition du 16 septembre 1947. C’est encore une fois Claude Dumais qui recueille les propos du militant révolutionnaire.
Le Monde : - Stéphane Just, pouvez-vous me donner votre version de ce qu’il faut bien appeler aujourd’hui l’affaire du restaurant Constantinescu ?
S Just : - Ecoutez, j’ai très très bien connu Marceau-Pivert parce que mon père, qui était un dirigeant ouvrier, était ami avec lui. C’était un chic type, je peux vous en assurer. Alors quand je lis ce que Barta vous a raconté à son sujet…au sujet du film de Talpain – parce que c’était un film de Talpin écrit par Talpin et réalisé par Talpin – ça me fait doucement marrer…
Le Monde : - Mais la sole…
S. Just : - La sole ? Eh bien s’il faut revenir là-dessus, il faut dire la vérité. Korner bouffait une énorme sole dégoulinante de beurre avec les doigts, oui Monsieur, avec les doigts, quand Talpin et son équipe de tournage a débarqué chez Charretier pour faire des repérages. Quand ils ont vu Barta manger de cette façon, ils ont tourné tout ce qu »ils pouvaient. Essayez de les comprendre : Un mec comme Barta en train de faire un truc pareil, c’était du jamais vu, enfin c’est ce que je pensais comme tout le monde jusqu’à ce que je fréquente une fille qui faisait un spectacle chez Constantinescu et que je vois moi-même Korner dans ses œuvres. En fait, ce mec ne se servait jamais de couverts quand la bouffe lui plaisait, quand il était peinard aussi, et comme il n’était pas souvent peinard…Barta, c’est un mec très très sérieux, comme moi ( Just rit ), on ne se donne pas souvent en spectacle, ça fait, comment dire…allez, ça fait bourgeois de bouffer avec les doigts, non ?
Le Monde : - Korner dit que vous l’avez insulté.
S. Just : - Je l’ai accusé d’avoir Trahi Marceau. Et je le pense. J’étais avec des camarades de l’Union Communiste, on avait pas mal bu, bon, vous savez comment ça se passe dans ces cas là, on va peut-être un peu trop vite…De toute façon, il n’avait pas à me balancer cette espèce de paupiette dans la gueule. Vous savez qu’il m’a brûlé la joue au second degré – Just montre un endroit de son visage où la peau est un peu plus claire - ? Et vous savez ce que j’ai pris après, et que je me suis fait rosser pendant une demi-heure par ce dingue pendant que deux roumains me menaçaient avec un flingue pour que j’encaisse des ramponeaux sans répliquer ? Ma fiancée a été témoin de tout cela. C’est une roumaine elle aussi, et réfugiée politique d’origine bessarabe, mais elle n’a rien pu faire. Barta était comme fou.
Le Monde : - Barta dit que vous l’avez provoqué en vous montrant avec Mademoiselle Bant-Dimitrievscu.
S. Just : - Bon, alors vous sortez avec une fille, n’importe quelle fille, mais plutôt une jolie fille, et tous les mecs qui n’ont pas cette chance peuvent vous considérez comme un provocateur ? Barta en pinçait pour elle, c’est vrai, mais comme le spectateur d’un film qui se met à délirer un petit peu sur une star, vous comprenez. C’est vrai qu’on a vu Rotten Flesh de Browning ensemble, je me souviens très bien de cet après-midi là parce qu’après, j’ai été pendre la crémaillère chez France Roche et Franju et qu’on a finit la nuit au commissariat du 15ème. Leur môme, un petit anar cuité à mort, avait assommé un flic qui passait tranquillement sous leur balcon, rue des Favorites, avec une bouteille de Pernod. Si je m’en souviens…Quand j’ai croisé Catérina chez Prunier, je lui ai demandé un autographe et c’est là qu’elle m’a dit qu’elle ne s’appelait pas Maxine. Elle a lâché le stylo qu’elle avait dans la main et s’est mise à chialer parce qu’elle était tricarde à Hollywood pour une histoire de fesse. Je l’ai consolée, c’est tout. On sort toujours ensemble.
Le Monde : - Merci Stéphane Just.
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