Pierre Fiala écrit au journal Libération et s'explique sur l'affaire du New-Morning
"J’écris à Libé pour des raisons sentimentales, parce que tout bien réfléchi, vous êtes devenus un journal de merde, mais en même temps, je n’irai pas écrire au Monde, faut pas pousser.
D’abord, je tiens à dire que c’est parce que je voue un véritable culte à la personnalité de Jim Hall que j’ai déconné l’autre soir au New-Morning.
Faut comprendre: J’ai passé toute mon enfance dans la cour de la baraque de mes parents, réfugiés anarchistes hawaïens de sang royal à Bobigny au début des années soixante, à écouter les disques de Rudy Vallée que mes sœurs collectionnaient et, surtout ceux de Jim qu’un vieil anar de la rue d’Odessa me refilait en échange de ma participation à des combats d’animaux. Bon, alors, comme je connais les lecteurs, je m’explique tout de suite sur ces combats. En fait, ce mec était un ancien Ruchard qui militait pour l’émancipation des chiens, des chats, des limaces, et d'un tas d'autres bestioles. Il était persuadé que c’était en luttant jusqu'à la à mort contre des hommes qu’ils l’obtiendraient, cette émancipation, rien qu'un instant avant de mourir. Il organisait donc, sous les frondaisons du Parc de la Courneuve, des combats entre des mectons du quartier et toutes sortes de bêtes qu’il élevait amoureusement dans son jardin afin de leur donner une éducation libertaire. C’est ainsi que j’ai accepté de lutter contre un teckel afin de lui redonner une dignité et qu’il est malheureusement décédé. Mais bon, la liberté n’est jamais acquise, on le sait bien. J’ai également engagé des combats contre d’énormes rats à col rouge de Hongrie qui étaient plus grands que le teckel vaincu et ai été blessé à plusieurs reprises. Dans ces cas là, plutôt difficiles même muni d’un lourd gourdin, on n’évite pas les vilaines morsures.
Après chaque combat, le vieux, m’emmenait dans sa turne, me montrait le gros tas de disques foutus en vrac part terre et me disait « Tape là-dedans fils ! T'as bien lutté pour le salut des animaux! », et moi je tapais dedans. Et va savoir pourquoi, mais ce tas était plein, non pas d’enregistrements de Marcel Azzola mais de 78 tours et de vinyles américains introuvables. Au début, je prenais n’importe quoi, mais après, je suis devenu difficile et ai commencé à récupérer tous les Royal Roost et d’autres labels de la Côte Ouest, et particulièrement les guitaristes qui jouaient cool comme Jimmy Raney, Sal Salvador, Howard Roberts, Ed Bickert, et surtout Jim Hall, cet intimiste grandiose qui m’a très vite retourné le cerveau avec ses trouvailles incroyables…Livré à moi-même par des parents au chômage et très portés sur le sexe,j'ai beaucoup lutté et pu ainsi me constituer une collection unique à Bobigny et peut-être même en France.
Je me suis aussi bien habitué au son de la guitare de Hall dont j'appris incidemment qu'il s'agissait d'une De Angelico New-Yorker, un instrument très râre qui possède une sonorité unique, très puissante, ronde et fruitée et qui peut faire penser aux fesses de Debra Padget dans "Das Indische Grabmal". Les lecteurs et les flics qui me traquent doivent comprendre que toute mon adolescence a été bercée par les accords que Jim lâchait sur "Seven come Eleven" ou "My Funny Valentine", vous pigez? J'en ai passé des heures à écouter ses disques planqué au fonde mon pageot au lieu de dormir, en dégustant, entre deux gorgées de Leffe, les grosses mouches à merde dodues et parfumées capturées après dinner dans les chiottes au fond du jardin. Franchement, il fallait le faire de réduire des Rottweilers ou des Bergers Belges en purée pour gagner un album Contemporary emballé par Lester Koenig lui-même! J'ai morflé pour écouter ça! Et c'est pour cette raison que j'ai perdu tout contrôle de moi vendredi soir.
Je n'avais jamais eu le privilège d'entendre Jim jouer pour de vrai, aussi me suis-je aperçu rapidement qu'il ne jouait pas la De Angelico de mes nuits magiques mais une espèce de guitare de chez Gibson au son horrible du genre à vous rappeler le cri d'une hyène dépucelée par un taureau! Comme je m'étais mis à descendre pas mal de Leffe pour lier connaissance avec la serveuse gironde du New-Morning et reluquer dans son décolleté plein à craquer quand elle se penchait pour remplir mon verre, j'étais bien échauffé quand Jim s'est mis en tête de jouer mon standard préféré, "End of a Love Affair" sur son instrument merdique. A vrai dire, ça m’a scié la gaule et j'ai bondi comme un tigre chamarré- je portai la tenue des chamanes Oulah-Uh de Pulau-Pulau, l’île d'où est originaire ma famille hawaïenne - sur la scène pour l'empêcher de commettre un sacrilège. Je reconnais volontiers que j'ai traité Jim Hall "d'enculé" et que j'ai brisé son instrument sur une table, et c’est vrai que, dans le feu de la colère j'ai heurté la tête d'une cliente japonaise. Mais bon, qu'y pouvais-je, alors, dans cet état de colère?
Mais c'est surtout après que la folie s'est emparée de moi. J'ai réagi à la manière typique de l'aristocratie hawaïenne, c'est à dire que j'ai d'abord effectué un Ruthalaaa-alahhapa, une figure de danse très célèbre et acrobatique à Hawaï.
Il s'agit de commettre un crime, ou, au moins, un acte très violent engageant plusieurs personnes innocentes pour une raison esthétique puis de monter sa fierté en affichant une attitude distante et orgueilleuse, de quitter la scène du crime à grandes enjambées tout en faisant jouer de manière savante les reflets du soleil - j'ai utilisé les spots du club - sur son crâne chauve - tous les hawaïens de haute lignée se frottent la tête tous les soirs avec des blocs de lave pour devenir chauves. J'ai ensuite effectué un rath'lui puilho, à savoir voler une bagnole en plein jour - à Hawaï on pique plutôt une pirogue - et enfin un Caracath'olifilih, une «effraction magnifique», puisque j'ai défoncé la porte d'une maison, le New-Morning, pour y commettre, dernière figure de style et sommet de l’art du ruffian bigarré, un sacrifice sexuel en faisant porter la marque du requin tigre à la mère de tous les ennemis, cette serveuse qui, après m’avoir enivré et tenté d’acheter mon jugement avait assisté en ricanant au spectacle funeste qui a pour toujours désenchanté ma vie. J’ai donc été obligé de pratiquer le kokolelea’hratiftih ce sacrifice sexuel rituel qui se pratique à l'aide du bâton dentu, le kokolele, que portent à la ceinture tous les hawaïens de haut rang. C'est une massue sur laquelle est fixée la partie supérieure d'une mâchoire de requin et qui sert dans les cérémonies précédant le sacrifice d’une vierge au dieu Kaal’hor, le fils éternel du requin tigre. La victime reçoit un bon coup de kokolele et cela se nomme lopuilekd’herhu!! Les clients demeurés à l’intérieur étaient terrifiés. Je me suis enfui, les yeux hagards et même rendus hâves par l’amertume et, l’inévitable déclin de la rage.
A présent je suis en cavale, libre et sauvage, quelque part dans le 93. Tout ça finira bien par se tasser. "
D’abord, je tiens à dire que c’est parce que je voue un véritable culte à la personnalité de Jim Hall que j’ai déconné l’autre soir au New-Morning.
Faut comprendre: J’ai passé toute mon enfance dans la cour de la baraque de mes parents, réfugiés anarchistes hawaïens de sang royal à Bobigny au début des années soixante, à écouter les disques de Rudy Vallée que mes sœurs collectionnaient et, surtout ceux de Jim qu’un vieil anar de la rue d’Odessa me refilait en échange de ma participation à des combats d’animaux. Bon, alors, comme je connais les lecteurs, je m’explique tout de suite sur ces combats. En fait, ce mec était un ancien Ruchard qui militait pour l’émancipation des chiens, des chats, des limaces, et d'un tas d'autres bestioles. Il était persuadé que c’était en luttant jusqu'à la à mort contre des hommes qu’ils l’obtiendraient, cette émancipation, rien qu'un instant avant de mourir. Il organisait donc, sous les frondaisons du Parc de la Courneuve, des combats entre des mectons du quartier et toutes sortes de bêtes qu’il élevait amoureusement dans son jardin afin de leur donner une éducation libertaire. C’est ainsi que j’ai accepté de lutter contre un teckel afin de lui redonner une dignité et qu’il est malheureusement décédé. Mais bon, la liberté n’est jamais acquise, on le sait bien. J’ai également engagé des combats contre d’énormes rats à col rouge de Hongrie qui étaient plus grands que le teckel vaincu et ai été blessé à plusieurs reprises. Dans ces cas là, plutôt difficiles même muni d’un lourd gourdin, on n’évite pas les vilaines morsures.
Après chaque combat, le vieux, m’emmenait dans sa turne, me montrait le gros tas de disques foutus en vrac part terre et me disait « Tape là-dedans fils ! T'as bien lutté pour le salut des animaux! », et moi je tapais dedans. Et va savoir pourquoi, mais ce tas était plein, non pas d’enregistrements de Marcel Azzola mais de 78 tours et de vinyles américains introuvables. Au début, je prenais n’importe quoi, mais après, je suis devenu difficile et ai commencé à récupérer tous les Royal Roost et d’autres labels de la Côte Ouest, et particulièrement les guitaristes qui jouaient cool comme Jimmy Raney, Sal Salvador, Howard Roberts, Ed Bickert, et surtout Jim Hall, cet intimiste grandiose qui m’a très vite retourné le cerveau avec ses trouvailles incroyables…Livré à moi-même par des parents au chômage et très portés sur le sexe,j'ai beaucoup lutté et pu ainsi me constituer une collection unique à Bobigny et peut-être même en France.
Je me suis aussi bien habitué au son de la guitare de Hall dont j'appris incidemment qu'il s'agissait d'une De Angelico New-Yorker, un instrument très râre qui possède une sonorité unique, très puissante, ronde et fruitée et qui peut faire penser aux fesses de Debra Padget dans "Das Indische Grabmal". Les lecteurs et les flics qui me traquent doivent comprendre que toute mon adolescence a été bercée par les accords que Jim lâchait sur "Seven come Eleven" ou "My Funny Valentine", vous pigez? J'en ai passé des heures à écouter ses disques planqué au fonde mon pageot au lieu de dormir, en dégustant, entre deux gorgées de Leffe, les grosses mouches à merde dodues et parfumées capturées après dinner dans les chiottes au fond du jardin. Franchement, il fallait le faire de réduire des Rottweilers ou des Bergers Belges en purée pour gagner un album Contemporary emballé par Lester Koenig lui-même! J'ai morflé pour écouter ça! Et c'est pour cette raison que j'ai perdu tout contrôle de moi vendredi soir.
Je n'avais jamais eu le privilège d'entendre Jim jouer pour de vrai, aussi me suis-je aperçu rapidement qu'il ne jouait pas la De Angelico de mes nuits magiques mais une espèce de guitare de chez Gibson au son horrible du genre à vous rappeler le cri d'une hyène dépucelée par un taureau! Comme je m'étais mis à descendre pas mal de Leffe pour lier connaissance avec la serveuse gironde du New-Morning et reluquer dans son décolleté plein à craquer quand elle se penchait pour remplir mon verre, j'étais bien échauffé quand Jim s'est mis en tête de jouer mon standard préféré, "End of a Love Affair" sur son instrument merdique. A vrai dire, ça m’a scié la gaule et j'ai bondi comme un tigre chamarré- je portai la tenue des chamanes Oulah-Uh de Pulau-Pulau, l’île d'où est originaire ma famille hawaïenne - sur la scène pour l'empêcher de commettre un sacrilège. Je reconnais volontiers que j'ai traité Jim Hall "d'enculé" et que j'ai brisé son instrument sur une table, et c’est vrai que, dans le feu de la colère j'ai heurté la tête d'une cliente japonaise. Mais bon, qu'y pouvais-je, alors, dans cet état de colère?
Mais c'est surtout après que la folie s'est emparée de moi. J'ai réagi à la manière typique de l'aristocratie hawaïenne, c'est à dire que j'ai d'abord effectué un Ruthalaaa-alahhapa, une figure de danse très célèbre et acrobatique à Hawaï.
Il s'agit de commettre un crime, ou, au moins, un acte très violent engageant plusieurs personnes innocentes pour une raison esthétique puis de monter sa fierté en affichant une attitude distante et orgueilleuse, de quitter la scène du crime à grandes enjambées tout en faisant jouer de manière savante les reflets du soleil - j'ai utilisé les spots du club - sur son crâne chauve - tous les hawaïens de haute lignée se frottent la tête tous les soirs avec des blocs de lave pour devenir chauves. J'ai ensuite effectué un rath'lui puilho, à savoir voler une bagnole en plein jour - à Hawaï on pique plutôt une pirogue - et enfin un Caracath'olifilih, une «effraction magnifique», puisque j'ai défoncé la porte d'une maison, le New-Morning, pour y commettre, dernière figure de style et sommet de l’art du ruffian bigarré, un sacrifice sexuel en faisant porter la marque du requin tigre à la mère de tous les ennemis, cette serveuse qui, après m’avoir enivré et tenté d’acheter mon jugement avait assisté en ricanant au spectacle funeste qui a pour toujours désenchanté ma vie. J’ai donc été obligé de pratiquer le kokolelea’hratiftih ce sacrifice sexuel rituel qui se pratique à l'aide du bâton dentu, le kokolele, que portent à la ceinture tous les hawaïens de haut rang. C'est une massue sur laquelle est fixée la partie supérieure d'une mâchoire de requin et qui sert dans les cérémonies précédant le sacrifice d’une vierge au dieu Kaal’hor, le fils éternel du requin tigre. La victime reçoit un bon coup de kokolele et cela se nomme lopuilekd’herhu!! Les clients demeurés à l’intérieur étaient terrifiés. Je me suis enfui, les yeux hagards et même rendus hâves par l’amertume et, l’inévitable déclin de la rage.
A présent je suis en cavale, libre et sauvage, quelque part dans le 93. Tout ça finira bien par se tasser. "
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