dimanche, juillet 31, 2005

Caterine Banat-Dimitrievscu se confie à France-Soir


Caterina Banat-Dimitrievscu revient sur son étrange parcours ainsi que sur l’affaire fort retentissante du grand restaurant roumain Constantinescu dans un long entretien avec Georges Margaritis pour l’édition de France-Soir du 2 octobre 1947.

Est publiée ici, et non sans difficultés après de très nombreuses demandes émanant de membres de la communauté roumaine bessarabe, la première partie de cet interview.

G.M – Mademoiselle Banat-Dimistriescu, avant d’en venir à l’affaire Just-Korner, j’aimerais que vous nous disiez de quelle étrange manière vous avez atterri dans la capitale des lumières.

C.B.D – Je suis originaire de Ploiesti en Bessarabie. Vous savez, les terres situées entre la rivière Prut, le Dniestr et la frontière occidentale Bordure, constituent la région de Bessarabie ayant appartenu à la Roumanie à plusieurs reprises depuis l’Antiquité et jusqu’en 1945 et dont la population est en grande majorité roumanophone. Après la chute de l’Union soviétique, de nombreux citoyens, intellectuels et ouvriers, ont rêvé d’une réunification de la Bessarabie avec la Roumanie, mais il n’en a jamais été officiellement question. Mon père, Krikor Banat était un homme riche qui avait construit sa fortune grâce aux revenus qu’il retirait du pétrole. Ma mère venait de la minorité allemande de Klausenburg et était la fille d’un éleveur de chiens, le Teckel Royal de Branéa, une race aujourd’hui disparue.

G.M – Et puis, c’est la guerre !

C.B.D - Quand l’URSS a annexé la Bessarabie en 1940, j’avais 20 ans. Pour ma famille paternelle, cet événement a été insupportable. C’est la raison pour laquelle mon père a commis l'erreur de collaborer avec le général Antonescu et sa Garde de Fer en mettant les ressources pétrolières dont il disposait encore au service de notre Roi Carol II, dit le taciturne. Les allemands sont arrivés en 1941 et puis tout est devenu terrible, vous comprenez…les partisans ne sont pas restés les bras croisés. La répression était forte contre des familles comme la mienne… un matin d'hiver, les 9000 chiens de l’élevage de Klausenburg ont été massacrés par des partisans staliniens, ivres de slivovitza, qui en ont même dévoré certains après les avoir fait rôtir vivants avec des lance-flammes…c’etait horrible…Ma grand-mère Maria qui a assisté à tout depuis la terrasse du Schloss Eierhoff en est morte de chagrin. Enfin, les Russes sont arrivés aux portes de la Roumanie en 1944 : il a fallu fuir, et tout a été très vite. Nous n’avons emporté que de l'or et des bijoux et abandonné tout ce que nous possédions. Papa a conduit la vieille Bugatti à travers bien des régions inhospitalières. Nous avons du abandonner nos domestiques pour des motifs liés au confort dans lequel nous avions besoin de voyager. Plus tard, nous avons appris qu’ils avaient étés exécutés et avons regretté leur savoir-faire ancillaire acquis de génération en génération...je vous mets au défi de trouver aujourd’hui une bonne capable de cirer un parquet de 900 m2 avec une peau de mésange.

G.M – Et ensuite ?

C.B.D - Je me souviens que lorsque nous avons atteint la frontière yougoslave, nous étions si fatigués que nous avons décidé de dormir chez une cousine de ma mère, à Drobeta. Cette femme, qui était une remarquable maîtresse de maison, n’avait malheureusement rien d’autre à nous offrir que du gigot d’agneau en raison de la pénurie de comestibles qui frappait notre pauvre pays ; c’est alors que mon père- et je ne peux me souvenir de cela sans émotion – est allé chercher un paquet dans le coffre de la Bugatti et l’a déposé sur la table de la réception en souriant. C’était une boite contenant 10 livres de caviar ! Tout le monde a repris courage et le gigot d’agneau a fini dans un tas de fumier ! Le repas fut agréablement accommodé d’une caisse d’un excellent champagne Röderer. Trois jours après nous passions la frontière italienne et nous réfugions dans un couvent à Gênes ou nous n’avions plus qu’à cacher la Bugatti à l’évêché et à attendre calmement la libération de la ville en sirotant des marsala all’uovo.

G.M – Et puis, l’Amérique….

C.B.D - Oui, l’Amérique. Je suis arrivée à Hollywood en juillet 1945.

G.M – Pourquoi Hollywood, vous aviez déjà décidé de faire des films ?

C.B.D – Pas du tout, je devais me marier avec un américain rencontré chez le Prince Borghèse. Mais le hasard c’est le hasard, n’est-ce pas ?

(A suivre)