mardi, septembre 06, 2005

L'interview donnée par Pierre Fiala en 2004 au Figaro enfin rééditée!


Ci dessous, la version non-censurée de l'interview introuvable donnnée par Pierre Fiala au journal Le Figaro en aout 2004. Ci contre une très belle aquarelle de Karl von Dreger représentant le leader balbynien dans une brasserie de la Nation à la fin d'une manifestation de juin 2003.

EVE RUGGIERI – Pierre, nous sommes assis tous le deux devant ta petite baraque, au cœur du Bobigny historique, pas celui de la bourgeoisie mais du petit prolétariat éclairé issu de la révolution de 48, de la commune de 70, et, plus récemment, de milliers de flics au chômage venus se réconcilier avec les damnés de la terre. Plusieurs Conservateurs de la BnF, curieux, ont même décidé de s'installer en face d'une cité habitée par des magasiniers mis à pied par la direction de la Très Grande Bibliothèque! Et c'est dans cette petite tanière odorante et mystérieuse que tu vis, manges, bois, écris, et…

PIERRE FIALA – … fais l'amour avec des femmes…Mais parlons des balbyniens, ces grands inconnus! Tous se sont établis ici dans cette mosaïque de petits jardins séparés par un réseau d'égouts à ciel ouvert datant, je crois, du Président Pompidou et constitue en soi un véritable écosystème préservé des contraintes de l'urbanisme. L'ouvrier, ici, comme le flic, le vigile au repos, le garde mobile démobilisé ont un autre point de vue sur la vie familiale.

EVE RUGGIERI – Mais pourquoi ? Parce qu'il arrive souvent que ce ne soient pas les hommes qui éduquent les femmes en matière de sexualité, comme c'est souvent le cas dans la classe bourgeoise, mais les femmes qui instruisent leurs maris ? J'ai vu tout à l'heure une femme toucher le sexe d'un inconnu dans la rue, puis s'éloigner comme si de rien n'était…

PIERRE FIALA - Ce problème n'est pas abordé dans les journaux. Je pense que si l'on décrit dans un journal la vie familiale des ouvriers, il faut pénétrer la psychologie sexuelle des ouvriers de l'époque actuelle. Bien sûr, c'est un problème extrêmement complexe, difficile à aborder. Plus tard, cette situation changera, mais actuellement, il est plus facile à une journaliste comme toi d'évoquer des problèmes contemporains que de pénétrer la psychologie sexuelle de l'ouvrier où, plus difficile, du policier au chômage dans un écosystème unique au monde comme celui de Bobigny. C'est pourquoi il y a si peu d'articles de ce genre dans la presse.

EVE RUGGIERI – Eh bien venons-y…

PIERRE FIALA – Je vais répondre à ta question Eve, mais j'ai le pressentiment que si je le fais, je veux dire, si tout le monde peut apprendre ce genre de choses dans ton journal bourgeois à grand tirage, que des catastrophes terribles nous attendent, nous balbyniens, car la société corrompue par la pourriture que l'église déverse tranquillement sur elle depuis des siècles a mal compris le sens du mot "amour libre". C'est l'amour libre qui a considérablement augmenté la natalité chez les communistes. Quand on a mobilisé les communistes balbyniens pendant la guerre en Afghanistan, il a fallu que le comité d'usine, stalinien mais pas fou, prenne en charge près de 2000 enfants, orphelins socialistes issus de rapports non-bourgeois et les place sous la responsabilité des anarchistes qui refusaient de venir en aide à l'armée soviétique derrière Georges Marchais. Si cette guerre nous a légué un grand nombre d'invalides, revenus à Bobigny le cœur en berne, l'amour libre, qui se généralise ici nous menace de difficultés encore plus grandes. Et je dois avouer que dans ce domaine, nous, libertaires qui avons craché sur le mariage républicain n'avons rien fait pour que la masse ouvrière, assoiffée de sexe, de mode hawaïenne et d'insectes, totalement incontrôlable face à une photo de Louise Labé ou une grosse mouche obèse du Tchad, blessée et tombée du ciel en pleine migration, comprenne bien ce problème. C'est pour ça que tu a pu surprendre tout à l'heure une balbynienne en pleine action. Je reconnais sincèrement que si on nous pose la question de la compulsion ouvrière, nous ne sommes pas en mesure d'y répondre.

EVE RUGGIERI – Tu poses, dans l'introduction de ton bouquin, et nous devons y porter attention, le problème du prolétariat féminin confronté à la voracité légendaire des hommes balbyniens, mais aussi à la délicate question de la cuisine des insectes.

PIERRE FIALA - C'est particulièrement important pour les femmes insatisfaites qui ont une famille non issue de l'amour libre : chez elles, l'influence religieuse, productrice de tristesse domestique, prédomine encore sur toute chose, et elles rechignent à cuisiner autre chose que des nouilles, à préparer autre chose à leurs gosses que des prêts à rouler Danerole. Tu vois, je pense qu'il faut que les anarchistes militent en compagnie d'autres marxistes sincères dans cette couche de la population; il faut remplacer l'Eglise par autre chose ! Quelque chose qui rende à toutes ces femmes magnifiques leur merveilleux instinct, cet instinct qui fait porter la main sur l'insecte et pas seulement sur le sexe d'un inconnu. Mais nous n'avons rien d'autre ! Si nous considérons, ne serait-ce que Bobigny-Centre, bastion de la Tête de Veau sauce Gribiche, eh bien il est rare que de la viande de guêpe géante du Cameroun, par exemple, y circule. Pourtant, c'est délicieux un bon cuissot de Guêpe demi-sel arrosé de lait de Mite fermenté. On y organise parfois des réunions officielles sur les bienfaits du régime insectivore pour les mômes. C'est peut-être parce que nous sommes trop fatigués par le sexe que nous organisons ces réunions à la va-vite. Pourtant, il faut bien que nous trouvions un moyen pour détourner les gens de l'Eglise et pour créer des centres culturels où non seulement le dimanche, mais aussi tous les soirs, le mari puisse venir se délasser autour d'un plat de punaises pommes à l'huile avec sa femme. Alors, ils n'iront plus à l'église et arrêteront de bouffer des trucs de curés. Certaines personnes se distraient déjà en allant au jardin public pour attraper des papillons et les manger à la croque au sel. C'est un début.

EVE RUGGIERI – Tu écris que certains ouvriers qui n'ont jamais vécu à Bobigny et ne mangent jamais d'insectes en commun sont très peu liés à leur famille et considèrent que leur femme doit tout faire, tandis qu'ils vont ailleurs. C'est la même chose le dimanche. Et voilà d'où viennent les scènes de ménage.

PIERRE FIALA- La femme hurle que le mari la quitte même les jours de fête et qu'elle est obligée de rester à la maison avec les enfants. On remarque ici un désir des femmes de se libérer. Elles reprochent souvent à leur mari le fait que les femmes balbyniennes mettent leurs enfants à la crèche ou au jardin d'enfants et que ces dernières ont plus de liberté pour boire des apéros avec les copines ou pratiquer l'amour libre avec des chauves en écoutant de la musique hawaïenne sur des pick-up fabriqués à Cronstadt. Il existe chez ces femmes d'Herblay dont tu parles un grand désir de liberté totalement incompris par des maris aliénés par le patriarcat propre à ceux adorent la viande de bœuf et les parties de cartes. On ne parle nulle part du problème de la famille, du mariage, de l'amour libre, de la polyphonie puissante du chant hawaïen et des rapports entre l'homme, la femme et l'insecte. Ce sont cependant ces problèmes qui intéressent les ouvriers et les ouvrières qui entendent parler de l'essor du prolétariat balbynien. Quand nous organisons des réunions en banlieue sur ce thème, les ouvriers le savent et viennent en foule. Je sais que certains disent que les anarchistes n'ont pas et ne peuvent pas avoir un point de vue défini sur ce sujet. Je connais des agitateurs habitant La Garenne-Bezon et qui répondent aux questions en se fondant sur les thèses du camarade Ramseyer, mais ces thèses ne résolvent pas par exemple le problème de la responsabilité du père et de la mère vis- à-vis des enfants privés d'alimentation à base de diptères vitaminés, ce qui fait que les enfants ont tendance à être livrés à eux-mêmes et à manger encore plus dans des macdos impérialistes. C'est actuellement à un des problèmes les plus important. Ces difficultés ne sont pas mises en lumière, et les ouvriers et les ouvrières qui soulèvent ces questions ne reçoivent pas de réponse, et donc, ils cherchent pas à manger de bonnes mouches.

EVE RUGGIERI – Tu me reprochais il y a une demi-heure mon appartenance à un journal qui, historiquement, a toujours soutenu le point de vue de la bourgeoisie et, surtout, le fait qu'en tant que journaliste, je ne m'occupe pas beaucoup de mes enfants. Mais la majorité des communistes les plus actifs qui écrivent dans les journaux de leur bord sont tellement occupés qu'ils ne connaissent même pas leur famille.

PIERRE FIALA – C'est vrai. Ils s'en vont quand tout le monde dort et reviennent quand tout le monde est déjà couché; or, si l'on ne connaît pas sa propre famille, il est difficile de connaître celle des autres. Et là où je veux en venir, c'est à cette situation paradoxale du journaliste qui rend compte de ce qu'il ne connaît pas faute de temps passé à la maison. Je conseille donc à tous les journalistes l'amour libre. Moi, qui ne suis pas journaliste, je passe tellement de temps à pédaler en chemise à fleur sur mon vélo Mercier et à vider des verres de Leffe que c'est seulement dans des discussions dans les magasins de la BnF ou en traînant dans les locaux syndicaux de Tolbiac que je parviens à apprendre quelque chose. Par exemple quand une collègue vient dire que son mari l'a frappée, etc. Et je le répète, on n'en parle pas dans la presse anarchiste et même trotskiste je crois parce que nous, les anarchistes, nous ne connaissons ni notre famille ni celle des autres. En fait, on ne met pas du tout l'accent sur le problème de la famille et des enfants. Moi-même, j'ai oublié ma famille, mes frères et sœurs, leurs noms, et c'est seulement quand on me pose des questions que de vagues souvenirs me reviennent en mémoire et que je commence à lier les choses entre elles entre deux demis sans faux col et une escalope taillée dans le filet du
frelon de Tasmanie. Si on examine la vie des anarchistes non insectivores qui ne connaissent ni l'amour libre, ni le ukulélé, on s'aperçoit qu'en fait la femme reste à la maison, tandis que son mari vidange les brasseries à la mode. Les femmes des anarchistes sont très peu intégrées à l'activité sociale. Chez les ouvriers balbyniens, en revanche, on considère souvent que lorsque le mari se rend à un festin de mouches, la femme doit l'accompagner et manger tout son saoul, rire et chanter, faire aussi l'amour avec des chauves qu'elle ne connaît pas ou apprendre à se servir de la télécommande du poste sans les doigts…

EVE RUGGIERI – Sans les doigts ?

PIERRE FIALA – Exactement, sans les doigts. Elles peuvent suivre des formations spéciales prises en charge par la mairie de Bobigny. Cela consiste à obliger des insectes, préalablement astreints à la pratique du culturisme et drogués, à appuyer sur les touches de la télécommande en se jetant dessus comme quand, par exemple,toi tu voudrais défoncer une porte en chêne massif d'un coup d'épaule . Et ces petites bêtes sportives et gonflées à bloc par les amphétamines y parviennent même s'il faut bien reconnaître que parfois, c'est du suicide.

EVE RUGGIERI – Incroyable. Mais ce courant libertaire que tu nommes dans ton livre le balbynisme, issu de la révolution culturelle menée pendant un demi-siècle de vie ouvrière insectivore a donc entraîné une dislocation de la famille traditionnelle. Beaucoup d'ouvriers balbyniens mènent aujourd'hui une vie dissipée et tirent un bon parti de la liberté de pouvoir se séparer de leurs femmes. Patrick Ramseyer dit que le « tout insecte » a porté un coup trop fort à la famille. Quant à l'égalité des hommes et des femmes devant l'insecte, je ne te suivrai pas tout à fait, car même parmi les ouvriers responsables, nombreux sont ceux qui ont abandonné leur femme pour un trecking gastronomique en Zambie et la promesse d'un festin d'insectes formidables, la laissant parfois avec cinq enfants.

PIERRE FIALA – Je reconnais que cela se produit très souvent. On ne s'en cache pas. On quitte aussi une femme anarchiste, même chez les gens haut placés dans ce qu'il faut quand même appeler, - et cela me fait très mal – l'appareil libertaire. On ne soulève pas le problème en assemblée, mais on en parle dans les cercles dirigeants et on a, en définitive, l'impression que quelque chose va éclater.

EVE RUGGIERI –Tu es en profonde opposition avec P.Ramseyer, pourquoi ?

PIERRE FIALA – Patrick dénonce depuis des années le fait que la jeune garde balbynienne ait montré le chemin le plus audacieux au prolétariat de Bobigny : celui des insectes géants retrouvés. Déjà, il s'était opposé, au sein de l'appareil libertaire, aux conférences données par le cryptozoologue Bernard Heuvelmans dans les années 60 au Sport Palast de Bobigny. Ramseyer préconisait la succion de becs de mésange et autres oiseaux, mais essentiellement de mésange charbonnière…

EVE RUGGIERI – Pardonne moi de t'interrompre, mais tu as bien dit, succion de becs de mésange charbonnière?

PIERRE FIALA – Absolument. Patrick a une maison de campagne à Bris sur Marne avec une immense volière et, à côté, un atelier secret. C'est là qu'il enferme des milliers d'oiseaux de toutes sortes, les sélectionne en fonction des caractéristiques de leurs becs, puis les tenaille salement et leur arrache le bec sans même les anesthésier.

EVE RUGGIERI – C'est ignoble !

PIERRE FIALA – Pour toi et moi, oui, mais pour lui, c'est le seul moyen d'obtenir de bons becs propres à être consommés frais, avec toutes leurs qualités gustatives et nutritionnelles. Mais il ne se débarrasse pas des oiseaux mutilés. Il les garde et les oblige à chanter ainsi dépourvus des airs brésiliens a capella du Quarteto em Cy.

EVE RUGGIERI – Mais comment chanter sans bec pour un oiseau…

PIERRE FIALA – C'est simple, il les opère avec un simple nécessaire de couture et, maître de l'ourlet de chair, il leur fabrique une petite bouche. Tu n'as jamais entendu le tube de l'été 71 ? Un de ses mainates transformés avait enregistré un disque de standards avec Jimmy Raney au Royal Roost à New-York, Le premier morceau de la deuxième face est le seul quine soit pas en anglais, un truc comme, si mes souvenirs sont bons, J'ai une petite bouche et je sais m'en servir . C'est dingue, non ? Mais on s'éloigne un peu Eve…

EVE RUGGIERI – c'est dégeulasse, c'est complètement dingue…

PIERRE FIALA – Ouais, enfin, ce qui est dégueulasse surtout, c'est qu'il a essayé de substituer à nos projets de rééducation ouvrière par les méthodes insectivores ses saloperies de becs à sucer en disant, les insectes, c'est bien, mais seulement ceux qu'on peut trouver dans le parc de la Courneuve, que les autres, les gros, ceux qui renferment le plus de vitamines, il fallait les chasser souvent à l étranger et que, outre le fait que c'était dangereux, cela éloignait les maris de leurs femmes restées au foyer. C'est pour cela qu'il a réussi à influencer les éléments les plus droitiers des balbyniens. Ce sont ces camarades, complètement désorientés, qui ne voient même plus passer une mouche. Voilà pourquoi aujourd'hui nous développons l'amour libre et la mode hawaïenne, pour les femmes, presque uniquement, à la vérité, pour les femmes qui doivent pouvoir trouver une compensation à l'absence des camarades chasseurs de gros gibier africain ou sud-américain.

EVE RUGGIERI – C'est pour cela que tu ne quitte presque jamais Bobigny et que tu portes une chemise hawaïenne ?

PIERRE FIALA – On peut voir ça comme ça. Et c'est aussi parce que je ne quitte jamais Bobigny et réconforte les balbyniennes que j'ai fait installer cette batterie de DCA sur le toit de ma baraque pour intercepter les énormes mouches de Zambie qui traversent le ciel de Bobigny en Automne. Tu sais, c'est extraordinaire la saison de la chasse à Bobigny, les arbres changent de couleur dans le Parc, le ciel prend des teintes rougeâtres et le soleil jaune doré, en se couchant, tombe sur Bobigny comme une grande cacahuète pleine d'urine dans une soucoupe de bistrot. Tu connais David Caspar Friedrich, Zwei Männer in Betrachtung des Mondes ?

EVE RUGGIERI – Non.

PIERRE FIALA – Faut sortir…

EVE RUGGIERI – Pierre, je voudrai terminer cette interview passionnante en te posant la question qui tue : Pourquoi ne bois-tu que de la Leffe ?

PIERRE FIALA – Je vais te dire un truc que je n'ai jamais révélé à personne, et donc, pour toi et tes lecteurs bourgeois, pour toute la ploutocratie parisienne, ce sera un scoop. Voilà ce qu'écrivait, en 1863, le docteur Sirnon, cité par Karl Marx dans Le Capital, « On ne craindra pas d'affirmer que les cas dans lesquels l'insuffisance de nourriture produit des maladies ou les aggrave sont, pour ainsi dire, innombrables... Au point de vue sanitaire, d'autres circonstances décisives viennent s'ajouter ici... On doit se rappeler que toute réduction sur la nourriture n'est supportée qu'à contrecœur, et qu'en général la diète forcée ne vient qu'à la suite de bien d'autres privations antérieures, et particulièrement de la bière belge de qualité servie à la pression. Longtemps avant que le manque d'aliments pèse dans la balance hygiénique, longtemps avant que le physiologiste songe à compter les doses d'azote et de carbone entre lesquelles oscillent la vie et la mort par inanition, tout confort matériel, toute joie due à la consommation d'alcool aura déjà disparu du foyer domestique. Le vêtement et le chauffage auront été réduits bien plus encore que l'alimentation. Plus de protection suffisante contre les rigueurs de la température, plus de chemise hawaïenne pour séduire les ouvrières délaissées; rétrécissement du local habité à un degré tel que cela engendre des maladies ou les aggrave; à peine une trace de meubles ou d'ustensiles de ménage. Tels sont les dangers auxquels la pauvreté est exposée inévitablement, quand cette pauvreté implique manque de bière ou d'apéritifs. Si tous ces maux réunis pèsent terriblement sur la vie, la simple privation de Leffe, par exemple, est par elle-même effroyable...» Voilà pourquoi j'ai toujours tenu, contre vents et marées, mon verre de Leffe comme un étendard face à l'adversité. En 1972, à la Coupole à Montparnasse, j'ai tué un scout de France qui avait renversé mon demi en terrasse sans le faire exprès. Je l'ai aveuglé d'un jet
précis de cacahuètes puis étranglé lentement en lui hurlant l'internationale dans l'oreille. C'est dur, mais sinon, comment conserver une fierté libertaire l'estomac vide, le foie sain ? Là où je veux en venir, ça n'est pas au fait que je suis favorable à l'extermination des scouts et de la vermine du seizième en général, mais à celui que la Leffe n'est pas une bière comme les autres; fabriquée par des moines belges vivant dans une abbaye cernée par les bêtes sauvages, hantée par d'horribles cris venus du passé préhistorique, elle permet d'accéder à un plan de conscience supérieur, un monde de fureur et de luxure de gloire et, paradoxalement, d'inconscience, qui rend toute chose possible en ce bas monde pour un type déterminé comme moi. Il suffit d'avoir de bonnes jambes et un vélo Mercier. Après une dizaine de Leffe, la fortune te sourit comme Giene Tierney, souriait à Dana Andrews dans Laura. Voilà pourquoi tu ne me verras jamais sans Leffe dans les moments importants de la vie. J'ai ici une cuve à bière de 1500 hectolitres creusée à main d'homme et sans outils dans le granit par des admirateurs balbyniens sous ma baraque. Alors, tout peut arriver, je ne sucerai jamais de glace à la vanille.

EVE RUGGIERI – Merci Pierre pour ce magnifique entretien.