samedi, août 06, 2005

Stéphane Just vainqueur du Trophé Pernod à Sanary sur Mer : 55 ans déja!


C'est le soir du 6 août 1955 que Stéphane devait franchir le Cap de l'Ironie devant plusieurs dizaines d'habitués du Balto de Sanary sur Mer, consommant 142 mominettes - soit 71 verres - de Pernod en deux heures. Le Provencal avait envoyé un de ses journalistes sur les lieux le même jour - rapporté dans l'édition du 7 du même mois par Louis Barresi.
Le Provencal - Stéphane Just, c'est la peite ville de Sanary sur Mer que vous avez choisie pour passer vos vacances...et le Balto pour l'apéro...Ca change drôlement des luttes...
Stéphane-Just - Surtout le Balto pour l'apéro. D'ici, on voit la mer sans avoir à trop s'éloigner du comptoir, d'où l'avantage considérable de passer ses vacances dans le coin! Et puis il y a éventuellement la faune et la flore, la flore, splendide, de Provence, et les filles à la peau de jasmin et à l'oeil si noir, si noir... la socca aussi, cette espèce de galette un peu sèche qu'il faut bien quand même accompagner...mais vous savez ce que je m'apprête à faire et c'est la raison de votre présence...
L.P - Vous aller tenter de boire une centaine de verres d'apéritif au moins. Vous ne trouvez pas ca futile au regard des combats menés dans une quasi-solitude depuis trente ans...
S.J - Taaaaaaaaaaa! Je t'arrête, camarade : Les vacances sont les vacances, et une centaine de mominettes, ca n'est pas rien! C'est à dire qu'une mominette c'est la moitié d'une dose de Pernod...Léon Trotsky a écrit dans un discours à la jeunesse qu'il n'a avait pas que le politique dans la vie des ouvriers. C'est donc moi, dirigeant ouvrier qui vais gagner le Trophée Pernod organisé par ton journal! Ton journal n'est-il pas lu par des familles ouvrières de Sanary?
L.P - Oui, c'est vrai, mais pourquoi pas une dose entière de Pernod à chaque fois?
S.J - Je suis de la vieille école... Ecoute, le truc c'est de trinquer, rigoler avec les copains, asseoir la discussion politique sur la boisson...décrire des femmes...Et ce n'est certainement pas en m'envoyant une bouteille de Ricard en deux minutes que je vais trouver...euh... ce lieu d'ébriété, indéfinissable et érogène qui parfois nous unit tous...cette fraternité prolétarienne dans l'instant...
L.P - Quel genre de description de femmes...

S.J - Des descriptions de femmes, tu comprends, des descriptions de Carole Landis par exemple. Tu sais que je collectionne ses photos ?

L.P - Mais Carole Landis est morte...

S.J - Se retournant vers un groupe de buveurs accolés au comptoir - Mais il va se taire celui-là! Carole est vivante, tu comprends, VIVANTE! Tu veux que je le dise dans un porte-voix? Tu veux VRAIMENT me briser le coeur?

L.P - Mais...

S.J - Ecoute, je t'interdis dorénavant d'évoquer des femmes. Tiens, par exemple, si tu me parles d'une fille que tu n'as entrevue qu'une demi-seconde dans un wagon de métro, ou bien, euh...là, sur le port, eh bien je te dis immédiatement stop! Tu n'évoques pas de femmes, tu comprends ? Je ne veux pas voir le mot femme dans ta bouche ! Je te dis ca parcequ'à mon avis, tu n'y connais rien. Tu sais ce qu'on faisait en Allemagne, quand on était au STO, qu'on avait pas vu une paire de jambes depuis des années?
L.P - Non. Je n'ai pas fait le STO, j'ai refusé, j'ai rejoins la résistance au col de Sistéron.
S.J - Eh bien je vais te le dire puisque tu ne le sais pas...un gars se déguisait avec des nippes que les boches nous refilaient et une perruque fabriquée avec de la paille arrachée à des chaises, et on faisait un spectacle de cabaret. Oui Monsieur. Et comme la baraque du stalag où j'étais était réservée aux travailleurs communistes et internationalistes, eh bien nous avions décidé, en signe de résistance, de faire systématiquement des petites affiches anoncant un spectacle de Carole landis, une actrice américaine et en plus mariée avec un bolchévique, tu te rends compte...La première fois, le général qui commandait la garnison du camp a fait une syncope. Après, le camarade déguisé était tellement marrant et sexy que les trois premiers rangs ont du être réservés aux frisés...un paquet de cibiches pour obtenir une place qu'on leur demandait...On a jamais autant fumé! Tu vois, moi j'ai résisté intelligement...
L.P - Je ne voulais pas...
S.J - Tiens, la mienne de femme n'est pas loin...Je plaisante...elle est allée à l'aioli de la section locale du PCF avec sa soeur, il y a une vente de panties organisée par l'association pour l'Amitié Franco-Géorgiennne...Et une tombola où tu gagnes peut-être une grosse Lada et une bise des deux souris que le parti a envoyé pour décorer la tire . Bien entendu, il est hors de question que je mette les pieds dans ce marigot stalinien, regarde - stéphane Just sort une billet de tombola de la poche de sa chemisette à carreaux - tu vois ce ticket, camarade?

L.P - Oui?

S.J - Viens avec moi, je vais te montrer ce que je fais des artefacts produits par les fossoyeurs de la classe ouvrière - S.J se dirige vers le fond de la salle et ouvre la porte des latrines. La petite pièce, dépourvue de fenêtre, sent l'Ajax et la merde. Au mur, un rouleau de papier jaune-brun lance de legers reflets dans la torpeur humide. Stéphane se penche et, après avoir leché le ticket pour l'humecter de salive, le colle soigneusement sur l'extrémité du rouleau. Le portrait de Léonide Brejnev se balance doucement au gré de la brise méphitique produite par l'extracteur d'air. S.J me jette un regard plein de fièvre et hurle je ne m'appelle pas Raymond Mercader!
De nouveau face au comptoir. Plusieurs mominettes scintillent dans la demi-pénombre vespérale du Balto dont la salle est traversée par les derniers feux du crépuscule. Les visages rougis par l'alcool sont rendus plus rouges encore. Stéphane regarde les petits verres d'un air cruel: il en boira plus d'une centaine. Au loin, un grosse berline décapotable de marque Lada longe le vieux port de sanary avec, à son bord, deux jeunes femmes très blondes qui ont retiré le haut de leurs maillots de bain et allument les joueurs de boules. L'une chante, l'autre l'accompagne à l'aide d'une petite guitare triangulaire.
Au Balto, la télé vient d'être allumée et on entend la voix de Pierre Dumayet, parfois recouverte par les grands cris de joie que pousse Stéphane Just après chaque nouvelle tournée. Ca sent l'osso-bucco et Giselle Bornier, la fille du patron esquise quelques pas de danse au son du juke-box. La nuit peut bien venir.